La Tunisie que j’ai découverte est bien à mille lieux de l’image dépeinte par les JT français, celle d’un havre de paix, où il fait bon passer ses vacances. A Sidi Bouzid, à Gafsa, ou encore à Thala, point de maison blanche ornée de grandes portes azur, point de plage de sable blanc où l’on peut se prélasser durant des heures à siroter un thé aux amandes, servi par un employé en uniforme. En quittant les sentiers battus, le jasmin fait place au cactus ainsi qu’aux terrains vagues où les buissons truffés de sacs plastiques abondent, des enfants jouant pieds nus dans les détritus.
Initialement publié sur Huffington Post Maghreb
«Vous voulez aller à Sidi Bouzid, mais vous êtes fous ! C’est très dangereux, les gens sont des sauvages. Ils se droguent toute la journée et n’ont rien dans la tête ». Première surprise pour moi avec ce chauffeur de taxi à Tunis. Je pensais que tous les Tunisiens étaient fiers de Sidi Bouzid ! Je n’étais pas au bout de mes surprises. Des clichés largement véhiculés, à commencer par les Tunisiens eux-mêmes.
Débarqués de Lyon le 2 octobre 2011, avec Paolo Kahn, mon collègue français, nous n’avions pour toute feuille de route qu’un calendrier d’actions que nous nous étions fixés, et une destination : Sidi Bouzid. C’était sans compter alors sur la curiosité, ainsi que sur l’accueil des Tunisiens que nous rencontrions sur notre route. Notre objectif étant de créer un média dans la région, et de former des jeunes au journalisme citoyen. A savoir fournir un moyen d’expression à des citoyens ordinaires, en l’occurrence ceux issus des franges les plus marginales et sous-représentées de la société.
Dès lors, il était important à nos yeux de vivre sur place pour comprendre de l’intérieur comment vivaient les habitants du Sud, à l’instar du journaliste suisse qui allait fonder le premier Bondy Blog en novembre 2005 en banlieue parisienne. C’est pourquoi après deux mois passés sur la route entre Sidi Bouzid et la capitale, nous avons décidé de nous y installer vraiment.
Un an et demi plus tard, et des centaines de kilomètres passés à sillonner les routes du centre du pays, nous avons formé une équipe composée d’une vingtaine de blogueurs répartis sur trois gouvernorats : Sidi Bouzid, Kasserine et Gafsa, siège de la rédaction.
Notre principe est d’initier des jeunes aux fondamentaux du journalisme, au traitement de l’information locale, en partenariat avec Canal France International. Le Tunisie Bondy Blog doit être un tremplin pour les jeunes, un moyen d’acquérir les bases d’un métier, et pour ceux qui le souhaite, de devenir journaliste professionnel, en développant des réseaux avec des médias. Nous apportons seulement un savoir-faire, né d’une expérience forte en banlieue française, où les jeunes peuvent devenir acteur de leur avenir professionnel.
Au cœur de notre travail se trouvent les problématiques locales qui font le quotidien des habitants : l’exploitation du phosphate, les enjeux autour de l’eau, le chômage de masse ou encore le réveil culturel et citoyen qui s’est amorcé depuis la révolution. Cultiver un regard sur son propre environnement à travers les yeux d’un chômeur, d’une étudiante ou d’un fonctionnaire tout en restant objectif. “Le contact et la distance”, comme disait Hubert Beuve-Méry.
Nous accompagnons les jeunes peu importe leur profil, l’état d’esprit, l’envie de s’engager au sein d’un projet collectif est plus déterminant que le niveau d’étude. Parmi les membres de l’équipe, on compte un aide-soignant, une écrivaine en herbe, une biologiste, un rappeur…
Il s’agit aujourd’hui de consolider ce que nous avons construit. Pérenniser l’action, transmettre des outils, rendre durable un modèle émergent de formation en journalisme citoyen sont la suite à donner à cette aventure.